Gran Torino, réalisé par Clint Eastwood

Publié le par pL


Parce qu’il a été tourné en trois semaines et qu’il sort quelques mois après un projet très ambitieux (mais loin d’être réussi), L’Echange, Gran Torino, nouveau film de Clint Eastwood, pourrait passer pour une œuvre mineure. Avec pour unique décor un quartier de Detroit, le film prend son temps pour creuser chacun de ces personnages et mettre en place son intrigue. Il est ainsi question de Walt Kowalski (incarné par Eastwood lui-même, en très grande forme), vétéran de la guerre de Corée, retraité raciste et antipathique qui vient tout juste de perdre sa femme, se liant d’amitié avec ses voisins, une famille de Hmong, qui l’initiera à sa culture. Gran Torino décrit l’évolution d’un homme qui va tardivement s’adapter à un monde qui change (il occupe un quartier dans lequel n’ont cessé de s’installer des hommes de toutes les origines) en évitant le manichéisme et les stéréotypes menaçant de s’emparer du film lors de la séquence d’ouverture, une scène à l’Eglise lors de laquelle Walt critique absolument tout.

Parce que le film semble mineur dans la carrière d’un immense cinéaste, Gran Torino ose tout, ce qui fait de lui l’un des films les plus intéressants de son auteur. Clint Eastwood se livre avec pudeur dans ce qui est peut-être son œuvre la plus personnelle, parce qu’elle s’impose comme un regard sur une filmographie et que le cinéaste semble se confondre avec son personnage. Dans son traitement, Gran Torino fait preuve d’une inattendue liberté, jouant avec une grande maîtrise sur tous les registres. Drôle lorsqu’il s’amuse avec le cliché d’un vieil homme acariâtre débitant des répliques cinglantes qui ne peuvent que faire sourire, touchant quand il décrit le rapprochement entre Walt et Tao, le fils qu’il n’a pas eu, ou tétanisant lors d’une scène de fusillade filmée avec une classe et une sobriété impressionnante : Eastwood avait rarement fait coexister autant de sentiments plus ou moins contraires dans son cinéma.

Chronique sociale, décrivant les transformations d’un quartier ainsi que les modes de vie d’une famille Hmong, Gran Torino glisse subtilement vers un questionnement plus profond sur la mort. C’est lorsque Walt est filmé dans ses moments de faiblesse, de solitude et de détresse (un coup de fil anodin mais poignant un soir à son fils ; du sang craché à de nombreuses reprises, signe d’une fin imminente…) que le film se fait plus profond et plus touchant. L’heure est venue pour Walt (Clint ?) de passer le relais, de transmettre son savoir afin de laisser une trace de lui. Pour lui succéder, il a choisi Tao qu’il a initié, auquel il cède, avant de se retirer, sa Gran Torino, métonymie d’un personnage, mais aussi d’une génération.

Outre la filiation, un autre thème très eastwoodien est au cœur de Gran Torino : celui du concept de « héros ». Après qu’il a sauvé Tao lors d’une bagarre avec un gang, Walt devient un héros pour ses voisins, qui le couvrent d’offrandes, et la scène finale magnifie son sacrifice héroïque. Or, comme dans Mémoires de nos pères, Clint Eastwood affirme qu’il n’y a pas de héros, seulement des hommes : son personnage n’est jamais glorifié, ses défauts sont même continuellement mis en avant. Dès lors, le sacrifice final n’est qu’une occasion pour lui de se racheter, d’être en paix avec lui-même. Le film va jusqu’à prendre ses distances avec la religion, puisque la véritable confession de Walt n’est pas celle ayant lieu à l’Eglise, mais celle, derrière un grillage, lorsqu’il avoue un crime de guerre à son protégé : en fin de compte, il n’y a qu’à soi-même qu’il faille rendre des comptes. Parfaite synthèse des thèmes chers au cinéaste, film s’aventurant sur tous les terrains et faisant surgir l’émotion, toujours avec beaucoup de retenue, aux moments où l’on s’y attend le moins, Gran Torino cache derrière sa simplicité et son histoire anodine les questionnements profonds d’un auteur qui ne s’était jamais livré avec autant de sincérité.

16/20

Publié dans Critiques de 2009

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C
<br /> j'ai adore !!! vivement son prochain en Janvier!!<br /> <br /> <br />
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