Les Herbes folles, réalisé par Alain Resnais

Publié le par pL

 

PRIX EXCEPTIONNEL DU JURY – CANNES 2009

Lors d’une séquence des Herbes Folles retentit la musique accompagnant traditionnellement le logo de la 20th Century Fox alors qu’un couple s’embrasse sur une passerelle et que clignote le mot « Fin ». Ce n’est pourtant pas la fin du film, encore moins son dénouement. L’ironie est évidente dans cette gentille pique lancée au cinéma classique hollywoodien qui aurait conclu ainsi un film retenant en montage alterné un homme et une femme faits pour se rencontrer. Evidemment, on est chez Alain Resnais, où rien (et plus spécifiquement dans ce film) ne se passe comme prévu, et cette séquence est un exemple d’herbe folle. Les herbes folles, qui surgissent de nulle part et sans qu’on les désire, ce sont les pensées et idées traditionnellement refoulées que le tandem du film, Marguerite Muir et Georges Palet (Sabine Azéma et André Dussolier, qui n’ont jamais été meilleurs), laisse resurgir.

Les Herbes Folles ne tait rien et se laisse embarquer par l’imagination et les actes de ses personnages. Le film nous amène ainsi systématiquement là où on ne l’attend pas, dans un délire jubilatoire qu’épouse la mise en scène extraordinaire de Resnais, ne se refusant aucune fantaisie et multipliant les transgressions. Au sein des séquences d’abord : lors d’un repas de famille, la caméra délaisse la discussion pour cadrer divers objets alors que retentit une musique jazzy rendant inaudible les paroles des personnages attablés. Ce qui a été dit sera entendu partiellement et plus tard, alors que Georges est dans sa voiture. Ensuite, dans sa structure même : les séquences peuvent être brutalement interrompues et le film exhibe ses « zones de vide » lors des écrans noirs isolant les différentes scènes s’achevant en fondu: n’est ce pas là un jeu avec les fondements du cinéma, qui produit une illusion de continuité et de cohérence à partir alors qu’il est fondé sur du discontinu (la pellicule, sur laquelle chaque image est séparée de la suivante par une bande noire) ?

Parce qu’il regorge de trouvailles de mise en scène et d’images sublimement éclairées (par des couleurs non naturelles, histoire d’affirmer un peu plus la fantaisie du film), on oublierai presque ce dont il est question. Au départ, il y a une femme qui se fait voler son sac et un homme trouvant le portefeuille volé. Elle est célibataire et peine à trouver chaussure à son pied (littéralement dans la première séquence). Il a un passé trouble et sent la mort venir (lorsqu’on le découvre, les aiguilles de sa montre se sont arrêtées de tourner et il doit changer la pile). Sous ses airs de comédie, ces Herbes folles cachent subtilement un certain malaise et touche profondément lorsque, avec beaucoup de finesse et de tact, il le laisse surgir. Mais cette œuvre totalement atypique est avant tout un jeu, qui nous aspire dans son tourbillon d’humour, faisant sourire grâce à ses savoureux jeux de mots, ses scènes insolites, son montage ludique et d’une intelligence incroyable et ses interprètes tous impeccables. On a beaucoup dit qu’à 87 ans était encore un jeune homme. Une formule journalistique que ces Herbes folles corrobore par sa modernité et les audaces du cinéaste à tous les niveaux. Son nouveau film est juste une merveille, une pépite cinématographique absolument indispensable.

17/20

Publié dans Critiques de 2009

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C
<br /> j'ai beaucoup de mal avec Resnais alors j'hésite...<br /> <br /> <br />
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P
<br /> J'adore lire de ci de là tout ce que ce film induit comme interprétations. Ce film est bien "fou", c'est un bijou miraculeux et vraiment bienvenu.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> C'est bizarre, moi j'ai toujours eu du mal avec les films de Resnais (Hiroshima compris, malgré ses indéniables qualités) mais j'ai trouvé celui-ci vraiment extraordinaire<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Comme j'aimerais avoir eu le même sentiment ! J'admire énormément Resnais, j'attendais donc impatiemment c'est Herbes Folles... et je suis restée complètement à distance, je n'ai pas réussi à me<br /> passionner pour le film même si formellement c'est d'une grâce indéniable...<br /> <br /> <br />
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