Je suis heureux que ma mère soit vivante, réalisé par Claude et Nathan Miller

Publié le par pL


Dans l’une des premières séquences de Je suis heureux que ma mère soit vivante, des parents et leurs deux enfants en vacances se rendent à la plage. Aux logiques bruits d’ambiance des vacanciers se substitue pourtant progressivement un silence pesant : en pleine mer, l’adolescent Thomas, demande à son père adoptif, essoufflé, comment était sa mère biologique. De L’effrontée à Un Secret, l’enfance et la filiation sont au cœur du cinéma de Claude Miller, et il est question d’adoption dans son nouveau film, coréalisé avec son fils Nathan et inspiré par une chronique d’Emmanuel Carrère sur un fait divers survenu en 1996. C’est un film brut et tendu que signent Miller père et fils, qui prennent le temps de présenter leur personnage principal afin de décrire avec une remarquable précision les interrogations intérieures qui l’obsèdent, son envie de rencontrer celle qui l’a mis au monde et en même temps la crainte de ces retrouvailles.

C’est donc autour de flashbacks que s’organise dans un premier temps Je suis heureux que ma mère soit vivante, alternant des séquences avec Thomas à 5 ans (vivant chez sa mère biologique) et d’autres où il est adolescent (et hébergé par ceux qui ont pris en charge son éducation). Dès la description de cette adolescence se dessine un traumatisme : laissé seul avec son frère dans l’appartement, Thomas est considéré suffisamment éveillé pour s’occuper de lui, et donc, implicitement, pour garder en mémoire les souvenirs des moments passés avec cette mère. Cette conscience des événements guidera le récit et distinguera Thomas de son jeune frère, non préoccupé par les recherches de la mère biologique car trop jeune au moment de l’adoption. Occupant près de la moitié du film, ce portrait d’adolescent violent et à fleur de peau donne une profondeur au personnage et le temps pris pour exposer minutieusement les faits joue en faveur des réalisateurs : lorsqu’ils suivent Thomas à vingt ans, on connaît exactement les plaies béantes qu’il cherche à refermer et ses recherches s’avèrent dès lors plus captivantes, en même temps qu’elles donnent au film une véritable tension dramatique.

Pour la confrontation, tardive et tant attendue, entre mère et fils, Claude et Nathan Miller conservent la même froideur et la même brutalité dans leur mise en scène, en se reposant sur des interprètes formidables, offrant à leur personnage toute la nuance possible pour éviter que Je suis heureux que ma mère soit vivante ne sombre subitement dans le manichéisme. Sophie Cattani (grande révélation) incarne cette mère à tous les instants de sa vie, les Miller bloquant leur personnage dans sa jeunesse en refusant que son visage soit marqué par le temps. C’est un choix très judicieux pour décrire une femme qui n’a jamais considéré les responsabilités imposées par la maternité. Elle apparaît à la fois monstrueuse et vulnérable, à l’image de son fils (Vincent Rottiers, très bien), violent mais attendrissant. Le paradoxe de ces personnages renforce la complexité de leur relation. Ici personne n’est glorifié ou blâmé, jusqu’au procès final exhibant les limites de la justice française, dont le jugement est trop catégorique lorsque s’impose une étude de cas réclamant davantage de nuances. Je suis heureux que ma mère soit vivante se conclut alors en ouvrant sur une nouvelle interrogation : le mal physique doit-il être condamné plus sévèrement que le mal moral ?

14/20

Publié dans Critiques de 2009

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