Invictus, réalisé par Clint Eastwood

Publié le par pL

Invictus

Sorti l’an dernier, Gran Torino était l’un des films les plus passionnants et les plus profonds de Clint Eastwood. L’acteur-réalisateur signait son film le plus personnel, et l’histoire de Walt Kowalski faisait évidemment écho à la carrière de l’une des plus grandes icônes du septième art. Gran Torino aurait fait un formidable dernier film, mais malheureusement Clint Eastwood tourne plus vite que son ombre : Invictus arrive donc aujourd’hui sur les écrans, et fait figure de faux-pas dans sa filmographie. En choisissant de mettre en scène un fragment de la vie de Nelson Mandela au lendemain de la fin de l’apartheid, Eastwood se perd dans une simplification des événements poussée à l’extrême et n’utilise que de grosses ficelles pour faire pleurer dans les chaumières. Jamais son cinéma n’avait fait preuve de si peu de recul par rapport à son sujet et jamais il n’avait été si manichéen. Les premiers plans donnent le ton : les enfants africains s’amusent sur un terrain aride délimité par un grillage rouillé tandis que les blancs, vêtus de maillots parfaitement identiques, jouent sur un gazon bien vert. Invictus multipliera constamment et sans subtilité ces mêmes figures d’opposition.

Le message est simple : montrer que le sport dépasse ces clivages et peut s’imposer comme un facteur de cohésion nationale. La démonstration d’Eastwood a lieu à trois niveaux : à celui de la vie privée (via la famille de François Pienaar et sa bonne, forcément noire), à celui de la vie professionnelle (rapprochement entre les gardes du corps de Mandela) et à celui du pays tout entier (lors du match final). Ce brassage des cultures est orchestré par Mandela (Morgan Freeman, très bien), idolâtré par la caméra d’Eastwood. Personne ne pourra critiquer le regard que le cinéaste porte sur le président d’Afrique du Sud et pourtant c’est bien ce point de vue justifié mais convenu qui fait appauvri Invictus. Eastwood est contre la ségrégation et pour l’égalité entre les noirs et les blancs : c’est bien, mais pour défendre ses idées le réalisateur opte pour la schématisation – voire la caricature – des rapports humains. La complexité des précédents personnages eastwoodiens est mise de côté ici et, inévitablement, Invictus perd tout enjeu au bout d’une demi-heure, hormis celui, très limité, de l’issue du dernier match de rugby.

Malgré tout, Clint Eastwood reste un cinéaste habile : le classicisme de sa mise en scène donne une certaine grandeur à Invictus et, mieux, réussit à toucher et à captiver en dépit des procédés un peu grossiers sur lesquels il repose. Quand l’équipe nationale initie des enfants noirs au rugby, quand François Pienaar offre un billet à sa femme de ménage ou quand un stade bondé acclame Mandela, Eastwood magnifie ces moments de bravoure. Son film est généreux et oblige à se laisser prendre (non sans plaisir) dans le tourbillon de bons sentiments déployé. Le film prend le spectateur par les sentiments : il finit ainsi par convaincre, sans réussir à faire oublier que, dans ses précédentes réalisations, le réalisateur était plus inspiré et surtout bien plus intéressant.

 

11/20

Publié dans Critiques de 2010

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P
<br /> Mais, Mymp, Gran Torino, c'est bien!<br /> Plus sérieusement, c'est vrai que le film est déjà peut-être un peu schématique dans l'opposition entre Walt Kowalski et les Hmong, mais cette simplification est moins gênante que celle d'Invictus.<br /> D'un part, Gran Torino fait preuve de libertés rares dans les films d'Eastwood (cf le mélange des genres) et d'autre part les parallèles entre Eastwood et son personnage sont assez troublants. Moi<br /> j'ai vraiment eu l'impression que Gran Torino était une sorte de "film-confession" et un passage de relais à une nouvelle génération. Je maintiens: ça aurait fait un très bon dernier film.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Voilà un bon résumé de la situation : un film divinement mis en scène et plutôt bien interprété... mais au final assez irréaliste. Surtout quand on on connait la réalité de ce pays complexe, où les<br /> rapports entre les différentes communautés sont encore tendues.<br /> Espérons qu'Eastwood nous proposera mieux avec Hereafter ! <br /> <br /> <br />
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I
<br /> <br /> salut<br /> un article vraiment sympa dans un blog sympa...Comme d'hab...<br /> bonne soirée..<br /> <br /> <br /> <br /> Lorent<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> "Pour défendre ses idées le réalisateur opte pour la schématisation – voire la caricature – des<br /> rapports humains. La complexité des précédents personnages eastwoodiens est mise de côté ici" : c'est marrant que personne n'ait voulu penser la même chose pour Gran Torino qui avait EXACTEMENT<br /> le(s) même(s) défaut(s). Pourquoi soudain, à lire les critiques négatives et en demi-teintes sur Invictus, tout le monde parle de "clichés" et de film "mineur" sans avoir pourtant dit la même chose<br /> sur Gran Torino ? Encore un mystère de l'univers que je ne comprendrais jamais !... En tout cas, content de voir qu'Eastwood, dont j'apprécie la plupart des films, se fait enfin "déboulonner" après<br /> le grand cirage de pompes (inexplicable) de Gran Torino.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> tu résumes bien ce que je pense du film... souhaitons qu'eastwood nous en fasse d'autres dans la veine de gran torino !!<br /> <br /> <br />
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