Inglourious Basterds, réalisé par Quentin Tarantino

Publié le par pL


PRIX D’INTERPRETATION MASCULINE (CHRISTOPH WALTZ) – FESTIVAL DE CANNES 2009

D’abord, il y a l’évident plaisir de se retrouver devant un film de Quentin Tarantino, d’admirer son style unique et inimitable, sa maîtrise absolue du cinéma dans sa globalité et son génie pour raconter des histoires. Inglourious basterds est un très grand divertissement, servi par une réalisation d’une perfection absolue. Tarantino maîtrise son œuvre dans ses moindres détails. Son montage est d’une extrême précision, n’hésitant pas à faire durer un plan au-delà de sa durée attendue pour d’une part instaurer une permanente tension et d’autre part laisser s’exprimer des acteurs composant minutieusement des personnages singuliers et déjantés ; ses images, d’une immense beauté, adoptent des esthétiques suffisant à évoquer les multiples écoles et genres confrontés dans le film, et, dès les premières notes du générique, la bande-originale (avec des influences tout aussi variées) inscrit Inglourious Basterds dans une catégorie tout autre que celle du film canonique sur la Seconde Guerre Mondiale. Le cadre historique (pour la première fois clairement défini dans un film de Tarantino) n’est justement qu’un cadre servant l’histoire. Le propos du film est ailleurs.

En choisissant d’inscrire son film durant l’Occupation nazie, Tarantino s’aventurait sur un terrain miné : encore aujourd’hui au cinéma, la Shoah est un thème sensible, exploré avec un grand travail documentaire et une vigilance permanente pour ne pas s’écarter de la réalité. Inglourious Basterds se permet la plus grande des audaces : celle de réécrire les événements de cette époque traumatisante, non par pensée négationniste mais pour octroyer les pleins pouvoirs au cinéma. Le film de Tarantino n’est finalement pas un film de guerre : divisé en cinq chapitres, il privilégie dans chacun d’entre eux l’unicité de lieu, souvent intérieur, et préfère le dialogue à l’action. Et lorsqu’il y a dialogue, ils s’inscrivent toujours avec cohérence dans la continuité du travail de Quentin Tarantino, en préférant le sujet anodin à la théorisation explicite des événements historiques, ce qui rend Inglourious Basterds à la fois drôle (la séquence où Aldo Raine, incarné par un Brad Pitt génial, toujours dans l’autodérision, s’exprime dans un italien des plus maladroits face à un colonel SS le maîtrisant dans ses moindres détails est hilarante) et tendu (le premier chapitre, d’une immense précision dans son découpage, offre un face à face verbal oppressant et haletant, et prouve que même si Tarantino se départit rapidement de la fidélité historique, cela ne l’empêche pas de connaître l’Histoire et ses enjeux).

Progressivement, le cinéma s’empare d’Inglourious Basterds : Shosanna, rebaptisée Emmanuelle Mimieux est exploitante du Gamaar, où elle astique les lettres formant les noms de cinéastes fièrement affichés sur la façade du bâtiment ; et d’autres personnages entretiennent un lien étroit avec le septième art, d’un critique de cinéma à une star également espionne en passant par un soldat devenu acteur et qui incarne son propre rôle dans un film glorifiant ses exploits. Le cinéma est une arme : pour Goebbels, ce sera un outil de propagande à la portée non négligeable puisque même Hitler assistera à l’avant-première ; Shosanna se servira des propriétés physiques de la pellicule pour enflammer un cinéma. Avec Inglourious Basterds, Tarantino offre une flamboyante déclaration d’amour à son art et glorifie ses possibilités. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la vengeance finale est dite « en gros plan ». La fiction cinématographique a tous les droits : celui d’inventer des mots pour former son titre ; celui de convoquer dans un même film toutes les langues et tous les genres pour se réinventer, et, surtout, celui de transformer la réalité. Ici, les basterds gravent des croix gammées sur les fronts de nazis pour se venger de ceux qui ont imposé le port d’une étoile, et Hitler peut très bien être mitraillé dans une salle de cinéma.

L’autre hommage rendu par Inglourious basterds, c’est celui à la langue. On connaît depuis Reservoir dogs les talents de dialoguiste de Tarantino, et c’est comme si la logorrhée de paroles parcourant  ses films prenait tout son sens ici, en grande partie grâce à l’exceptionnelle performance de Christoph Waltz, primé à Cannes. Son personnage, Hans Landa, le chasseur de juif, parle couramment l’allemand, l’anglais, le français et l’italien. C’est ce qui lui permet d’identifier immédiatement des basterds se faisant passer pour des producteurs italiens, ou de démasquer des juifs ne parlant que le français dans le premier chapitre. Parler, comprendre une langue et la maîtriser dans ses moindres particularités est une forme de domination. L’incompréhension (de la famille de Shosanna) est fatale ; l’approximation aussi (un signe de la main engendrera la fusillade dans la taverne). Alors, avec de tels discours absolument maîtrisés et admirablement amenés, on est ravi que Tarantino nous arrache la seule conclusion possible et pertinente de son nouveau film : « Ceci pourrait bien être mon chef d’œuvre ». Inglourious Basterds est évidemment un chef d’œuvre, et réservons lui dès à présent le sort que tout chef d’œuvre mérite. Revoyons-le, par plaisir et pour en découvrir ses multiples richesses cachées. Puis revoyons-le, encore et encore…

20/20

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Vous avez réagi:

Ecrit par pL le mer 30 sep 2009 - 01h19

Quentin Tarantino ne veut plus se modérer, je suis d'accord : son film ne se pose aucune limite et c'est ce qui en fait sa force. Mal orthographier les mots du titre, remixer La Lettre à Elise, et... tuer Hitler. Mais toutes ses audaces ne sont pas gratuites, elles reflètent l'ambition de brassage des genres ou le projet du film: modifier le cours de l'histoire, c'est jouer sans hypocrisie la carte de la fiction, et donc d'explorer toutes les possibilités offertes par le cinéma. C'est ce qui rend cette déclaration d'amour si belle, car si l'incendie dans le cinéma est sensationnel, tout le film l'est encore plus puisqu'il ne cesse de démontrer ce que peut faire le cinéma. Et prendre un sujet si grave et sensible pour un tel exercice est une autre grande audace, qui rend le film encore plus formidable à mon avis.
Pour ce qui est du scénario, je ne le trouve pas brouillon mais au contraire extraordinairement concis et cohérent. Le premier chapitre présente indirectement les deux héros du film (Shosanna et Landa) en même temps qu'il montre que Tarantino connaît l'Histoire même s'il va jouer avec (l'oppression subie par ceux suspectés de cacher des juifs, etc.).
Les chapitres 2, 3 et 4, c'est finalement un montage alterné qui suit les protagonistes qui seront au coeur du dénouement (chapitre 5).
Et, ce qui fait que le film est brillamment construit, c'est que chaque chapitre exhibe la puissance de la parole:
- Chapitre 1: la ruse de Landa pour obtenir des informations sans éveiller les soupçons des juifs ne parlant pas anglais;
- Chapitre 3: la force que constitue une bonne connaissance des langues (avec l'interprète qui handicape Goebbels dans la séquence du repas);
- Chapitre 4: le geste (témoignant d'une mauvaise connaissance de la culture allemande), qui engendre la fusillade...
Le débordement et la rencontre des genres et des cultures, qui est une constante chez Tarantino est ici exploitée avec le plus de précision et de maîtrise. Après, 20/20 parce que c'est à mon avis un monument cinématographique, et peut-être, s'il fallait être objectif, (mais je ne le serai pas) le meilleur film de Tarantino.
Ecrit par Startouffe le mer 23 sep 2009 - 20h57
Salut pL,
J'ai vu ton commentaire sur mon blog, déçu de mes seules deux étoiles. J'y ai répondu mais je voulais néanmoins récidiver sur ton blog à toi où - à l'image d'Alastor - je suis resté assez septique sur ton 20/20 (toi qui a en plus l'habitude d'être un rapia au niveau des notes, ça ne m'en surprend que d'autant plus ;))
Alors oui, je comprends que quand on prend pour pseudo Pulp-pL c'est qu'on adore forcément les Tarantineries en tout genre, ce qui explique presque ce 20/20 de fanatique adulateur. D'ailleurs tant mieux que Tarantino puisse satisfaire à ce point ses adorateurs ! Le but de mon commentaire n'est d'ailleurs pas de te priver de cette jouissance ou bien de te convaincre du bien fondé de mon point de vue par rapport au tiens où à celui d'un autre. Malgré tout, il faut l'avouer, les divergences de points vue révèlent énormément de choses sur le cinéphile et même la personne que nous sommes... Or, c'est intéressant de constater les points sur lesquels nous ne nous retrouvons pas du tout...
Personnellement, et malgré le fait que je sois un adorateur des quatre premiers films de Tarantino, je suis vraiment pas convaincu par cet "Inglourious Basterds" (le troisième Tarantino d'affilé, ça sent le moisi pour moi concernant cet auteur on dirait...) Certes, j'ai passé quelques bons moments, et je pense qu'on a tous en tête les mêmes (comme Alastor j'étais aux anges lors de l'intro et de la conclusion) mais dans l'ensemble, je me suis quand même souvent ennuyé (en gros : chapitre 2, 3 et le début du 4 furent très pénibles pour moi).
Le problème aussi, c'est que le film est très saccadé, haché, patchwork, si bien que - à part la fin et le début - eh bah on ne sent pas trop venir les scènes clefs (Y en a t-il d'ailleurs ?) et ce n'est qu'au deuxième visionnage qu'on peut se dire "Ah, là arrive une scène forte"... (le problème c'est qu'on se dit "Ah, là y'a une scène très chiante et inutile qui se profile") En gros, il me fallait occulter tous le reste de film lorsque je regardais une scène pour y prendre du plaisir. A bien y réfléchir, c'est un film très brouillon et très mal écrit. Ou plutôt, c'est Tarantino qui ne sait plus modérer (ou plutôt "ne veut plus") ses effets de style, et qui nous en met partout comme on mettrait trop de sucre dans un bon café...Or, ce qui est très intéressant, c'est que ces saccades, ces redondances, ces lourdeurs, comme beaucoup d'ailleurs, ne t'ont nullement gênés.
Voilà pour ce qui est de ma contribution au débat, si s'en est une d'ailleurs.
merci encore pour tes articles que je vais consulter très régulièrement et merci aussi pour tes visites.
Bonne continuation cher camarade blogonaute !
Ecrit par Vincent le jeu 17 sep 2009 - 23h59
Carrément. C'en est presque inquiétant.
Ecrit par pL le mer 16 sep 2009 - 00h08
Tu crois Vincent?
Ecrit par Vincent le mar 15 sep 2009 - 22h54
Tu délires, pL.
Ecrit par Alastor le mar 15 sep 2009 - 14h47
Pour moi pas un chef d'oeuvre, si certains chapitres sont particulièrement réussi (le premier et le dernier sont mes préférés) d'autres sont un peu moue. Notamment celui dans la cave qui s'étire inutilement en longueur. Parfois Tarantino est bon dialoguiste (cf chapitre 1) mais parfois il est juste bavard et chiant.
A voir quand même parce que malgré ses défauts ça reste un bon film, original, Tarantinien mais pas trop non plus (contrairement à Boulevard de la mort où le cinéaste était incapable de s'effacé un peu de son film) et c'est surtout un bel hommage au cinéma, à sa richesse et à son pouvoir.
Ecrit par Eric le lun 14 sep 2009 - 19h30
ha ben je commençais à me demander ce que devenait ton cycle !
En tout cas ravi que tu ai été conquis par ce grand moment de cinéma !
A part le vieux gars qui joue Marcel à qui je mettrai bien deux claques tellement il est faux, j'ai pris mon pied ! mais un pied !!
Je lui mettrai pas vinte sur vinte, mais un bon dix-sept !
C'est pour ce genre de moments que je vais dans les salles !
Ecrit par Denis le lun 14 sep 2009 - 19h08
Chef d'oeuvre ? Non, loin de là, je sors de la salle plus que déçu, Quentin fait de la caricature à outrance, trop de longueurs, on finit par s'emmerder, quant à la perf de Pitt c'est carrément minable.

 

Publié dans Critiques de 2009

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C
<br /> <br /> Un 20/20 entièrement mérité. Enfin un film sauvage qui va au bout de ses idées. Un scalp pour la route !<br /> <br /> <br /> <br />
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