Inception, réalisé par Christopher Nolan
[Critique susceptible de révéler certains événements du film]
Alors qu’il réinventait le film de super héros il y a deux ans avec The Dark Knight, Christopher Nolan va plus loin aujourd’hui en proposant un nouveau modèle de blockbuster hollywoodien dans Inception, film passionnant, complexe mais, avant tout, spectaculaire. Il est donc question de Dom Cobb, voleur capable de s’immiscer dans le subconscient de ses victimes et de leur dérober ce qu’elles ont de plus précieux et de plus intime : leurs rêves. Nolan a ainsi entre ses mains un scénario idéal qui, en proposant une incursion dans le monde des rêves, lui permet de laisser libre cours à son imagination. Aidé par un budget conséquent, il donne à voir des séquences inédites et époustouflantes lorsqu’elles refusent une représentation réaliste du monde, telle que celle se déroulant dans un Paris brillamment remodelé. Nolan remplit parfaitement son contrat (Inception est un film qui en met plein les yeux) sans se perdre dans le divertissement facile. Le réalisateur a le mérite de rendre accessible son scénario en présentant avec une concision remarquable des idées profondes et complexes (le rêve imbriqué dans un autre rêve, impliquant inévitablement une confusion entre le réel et l’imaginaire). Mais la grande force d’Inception est de considérer le spectateur comme un acteur du film à part entière : en réclamant en permanence son attention et en laissant des zones d’ombre que chacun comblera selon son inspiration et sa perception des choses, Nolan propose un film grand public exigent et approche un certain idéal de cinéma.
Si l’on ne se perd pas dans Inception comme on se perdrait dans un film de David Lynch (qui propose des questionnements similaires), c’est grâce à un personnage qui découvre cet univers étrange en même temps que nous : aux côtés d’Ariane (qui ne s’appelle pas ainsi par hasard), jeune étudiante recrutée pour imaginer les espaces oniriques dans lesquels évolueront Cobb et son équipe, on parvient à se repérer dans le monde labyrinthique inventé par Nolan, notamment lors de l’inception éponyme (qui désigne le fait de s’introduire dans le subconscient d’un individu pour y faire germer une idée qui influera sur ses choix et son comportement dans le monde réel), se déroulant dans quatre lieux imaginaires régis par quatre temporalités différentes. En modifiant la perception du temps d’une séquence à l’autre, Nolan met en place un suspense implacable et se sert de ses idées scénaristiques pour multiplier les trouvailles visuelles. On assiste ainsi à la sublime chute au ralenti d’une voiture dans l’eau ou à une scène en apesanteur dans les couloirs d’un hôtel citant presque explicitement Kubrick.
Pourtant, si Ariane sert de guide dans le monde d’Inception, le seul héros du film est Dom Cobb (interprété par Léonardo DiCaprio, qui confirme quelques mois après Shutter Island qu’il est le plus grand acteur américain actuel). Hanté par le décès de sa femme, ce personnage amène des séquences d’émotion et le questionnement profond du film. En clarifiant peu à peu le passé de Cobb, Christopher Nolan retrouve David Lynch : si l’on peut dire quasiment avec certitude ce qui relève du rêve, quelle est la nature des autres séquences (la deuxième partie de Mulholland Drive, la fin d’Inception) ? Car, lorsqu’on s’enfonce dans des rêves naissant eux-mêmes à l’intérieur d’autres rêves, comment revenir à la réalité sans la remettre en question ? C’est ce qui a séparé Cobb de sa femme, et c’est sur cette question que nous laisse Christopher Nolan en concluant son film sur une scène inachevée : la toupie a bien failli s’arrêter de tourner mais n’a pourtant fait que vaciller... La seule réalité, c’est peut-être celle du spectateur, que Nolan a réussi à placer dans le même état d’esprit que les personnages de sa bande de Möbius. En fin de compte, Inception est une expérience collective produisant la sensation d’un rêve : une histoire dense sans début ni fin, qui semble n’avoir duré qu’une fraction de seconde alors que nous sommes pourtant restés près de deux heures et demie dans une salle de cinéma.
18/20