A bout de souffle, réalisé par Jean-Luc Godard
Le temps d’une scène anodine (s’il y en a chez Godard…), un vendeur de journaux tend à Michel Poiccard un exemplaire des Cahiers du Cinéma, lui louant le cinéma de la modernité. Là est affirmé le projet d’A bout de souffle : revendiquer une nouvelle esthétique, avec des tournages en extérieur et peu de moyens. L’urgence de ce tournage est signifiée par le montage, multipliant des ellipses brusques, parfaitement en accord avec la diégèse, le criminel Michel Poiccard tentant d’échapper à la police qui le traque. L’histoire emprunte ainsi aux films de gangsters américains, et cet héritage du cinéma d’outre-Atlantique est rappelé, ne serait-ce que par le choix du couple vedette : un petit malfrat français (Jean-Paul Belmondo, exceptionnel) et une vendeuse du New York Herald Tribune à l’accent américain (Jean Seberg, éblouissante).
A bout de souffle ne cache pas ses sources d’inspiration : au contraire, Jean-Luc Godard les exhibe, proposant ainsi une réflexion sur le cinéma. Dès la séquence d’ouverture, Jean-Paul Belmondo n’ignore pas la caméra : seul dans la voiture, il déclare (au spectateur du film) le mythique « Si vous n’aimez pas la mer… Si vous n’aimez pas la montagne… Si vous n’aimez pas la ville… Allez-vous faire foutre ! ». Le film refuse de faire croire que ce qui se passe à l’écran est réel, il clame haut et fort que c’est du cinéma. Les jump cut, rebaptisés « faux raccords à la Godard » prennent alors tout leur sens, le film résultant d’un montage de plans.
Ce collage induit dès lors une réflexion sur l’inspiration et la citation, dégageant ainsi deux thèmes dominants, la transmission et la trahison (qui seront plus encore explicités dans Le Mépris). Au niveau de l’intrigue, il s’agit de la transmission d’expressions françaises (« Qu’est-ce que c’est faire la tête ? » obtenant pour réponse une mimique, par ailleurs révélatrice de ce qu’est le travail de l’acteur) et de la trahison de Patricia, dénonçant son amant à la police à la fin du film. A un second niveau, il s’agit d’une transmission cinématographique, chaque plan regorgeant de clins d’œil, le plus évident étant évidemment un geste-leitmotiv, le pouce que Michel se passe sur la lèvre, en hommage à Humphrey Bogart. Dans la sublime séquence finale, Patricia le reprend, avec une interrogation, « qu’est-ce que c’est dégueulasse ? », suite à la dernière phrase de Michel… Cette question, elle la pose pour comprendre, afin de transmettre à son tour, sans ne jamais trahir.