Le Petit Soldat, réalisé par Jean-Luc Godard

Publié le par pL


Parmi les revendications de la Nouvelle vague, il y a la volonté de considérer le cinéaste comme un auteur, dès lors que le film exprime sa vision du monde. Avec Le Petit soldat, son deuxième film (censuré par le gouvernement français jusqu’en 1963), Jean-Luc Godard confirme un style en même temps qu’il s’interroge sur un fait d’actualité, la guerre d’Algérie. Le Petit soldat ressemble à A bout de souffle, d’abord par son style, ensuite par sa construction puisqu’il intègre un homme traqué, Bruno Forestier, déserteur réfugié en Suisse, qui tombe amoureux d’une femme, Veronica : aux séquences policières, sous influence américaine, qui traduisent l’urgence (ce que renforce le recours à de rapides panoramiques horizontaux, y compris lors de scènes de dialogues) s’opposent celles de séduction, toujours dans l’appartement. Godard poursuit son renouvellement des genres (et du cinéma français), ponctuant son scénario de ses habiles et habituels jeux de mots (« Allô ? – Non, c’est Ali. »…) comme de ses clins d’œil culturels. Ainsi, Bruno se demande-t-il si celle qu’il aime a des yeux « gris Vélasquez » ou « gris Renoir ». Il ne délaisse aucun des arts, qu’il cite dans ses conversations avec Veronica. Ce personnage est un avatar du cinéaste : il aime les femmes avec un accent étranger et, tel un metteur en scène, il dirige son actrice/modèle lors d’une séance photo, choisit la musique à retenir et présente Raoul Coutard (chef opérateur emblématique de la Nouvelle Vague) comme l’un de ses amis. En outre, les commentaires off de Bruno, personnage mais aussi narrateur, affirment la vision du monde de Godard.

La guerre d’Algérie est au cœur du film, par la radio, élément récurrent rapportant divers bombardements, et lors d’une séquence de torture, qui fait écho aux méthodes de l’armée française et les décrit avec précision (utilisation de l’eau, puis de l’électricité…). Toutefois, cette séquence exhibe un paradoxe, la torture étant vaine puisque la victime refuse de donner un numéro de téléphone, par dignité ou parce qu’elle n’en a pas envie. La première phrase du Petit Soldat a d’emblée inclus la réflexion : avant-gardiste, Godard privilégie la neutralité (l’action se déroule d’ailleurs en Suisse) vis-à-vis du conflit pour le condamner dans son ensemble. « On doit se battre pour des idées, et non pour des territoires » déclare Michel à Veronica, avant d’affirmer « Je n’aime pas Barcelone à cause de l’Espagne, mais j’aime l’Espagne parce qu’une ville comme Barcelone existe. » : là est toute la subversion du film puisque c’est l’absence de conviction, d’idéaux à défendre au prix d’une vie qui est violemment condamnée dans ce conflit pour l’indépendance qui n’est pas prêt de s’achever.

Publié dans Classiques du cinéma

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