Nuits d'ivresse printanière, réalisé par Lou Ye

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Nuits d'ivresse printanière-copie-2

 

PRIX DU SCENARIO - CANNES 2009

Interdit de tournage depuis la polémique suscitée par Une jeunesse chinoise qui évoquait les manifestations de la place Tiananmen, Lou Ye a tourné clandestinement Nuits d’ivresse printanière, film où il est question d’homosexualité et de triangles amoureux dans la Chine d’aujourd’hui. La démarche du cinéaste est évidemment louable, mais le film n’a pas besoin que cette inquiétante anecdote lui serve d’excuse : Nuits d’ivresse printanière est un très grand film, un mélodrame flamboyant maîtrisé de bout en bout. L’urgence, signifiée par une mise en scène en perpétuel mouvement, n’a pas empêché Lou Ye de construire un scénario dense et complexe (justement primé à Cannes l’an dernier) dans lequel il décrit avec précision les sentiments qui habitent ses personnages, y compris les deux femmes, personnages secondaires qui ne sont pas délaissés. D’abord, il y a Wang Ping et Jiang Cheng, deux amants vivant en secret une histoire d’amour intense. Soupçonnant son mari d’infidélité, la femme de Wang Ping engage un étudiant, Luo Haitao, pour suivre son mari mais celui-ci va succomber aux charmes de Jiang Cheng et impliquer sa petite amie dans cette histoire.

Nuits d’ivresse printanière va systématiquement à l’essentiel : refusant une introduction traditionnelle avec présentation des personnages et du contexte, le film débute in medias res et préfèrera de brusques ellipses à des transitions plus lentes qui nous empêcheraient de nous perdre. Caméra à l’épaule, Lou Ye filme frontalement de longues scènes de sexe, mais la monstration de ces étreintes passionnelles n’empêche pourtant jamais le film de conserver sa délicatesse. Dans la profondeur du champ, les corps des amoureux sont régulièrement filmés dans l’obscurité et des obstacles saturent le premier plan. La distance entre la caméra et les sujets donne souvent l’impression d’être face à une image volée, ce qui connote évidemment l’interdiction d’un amour encore hors des conventions sociales mais rend surtout compte de la pudeur avec laquelle le cinéaste raconte son histoire.

Cette distance, ce n’est jamais un moyen de ne pas se confronter aux questions posées par le scénario. Lorsqu’un drame survient, c’est toujours en plein jour avec des figurants en arrière plan. Dès lors, ces séquences d’une extrême violence (la sublime scène confrontation entre la femme de Wang Ping et Jiang Cheng dans le bureau de ce dernier) sont d’autant plus bouleversantes qu’elles s’inscrivent en totale rupture avec les moments plus intimes, tels que ces baisers échangés dans une arrière boutique qui plaçaient le spectateur en position de voyeur. Lorsque les personnages apparaissent en pleine lumière, ou du moins en public (la très belle scène où Jiang Cheng se travestit avant de monter chanter sur la scène d’un cabaret), ils sont plus vulnérables et plus touchants. Lou Ye capte alors admirablement la mélancolie de ces êtres qui souffrent et Nuits d’ivresse printanière s’impose comme un film magistral réussissant à mêler subtilement sueur et pleurs, à raconter de magnifiques histoires d’amour tout en rendant compte de la tristesse et les blessures qu’elles engendrent.

16/20

Publié dans Critiques de 2010

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